Le Sato a mené une enquête sur les toxicomanes dans trois cantons ruraux de l’Oise. Les pratiques sont les mêmes qu’en ville, mais l’accès aux soins y est plus difficile.
Vous pensiez que les villages étaient épargnés par la drogue ? Une étude du service d’aide aux toxicomanes de l’Oise (Sato) sur les conduites addictives dans les milieux ruraux montre exactement le contraire. Des résultats qui n’étonnent pas Jean-Pierre Demange, le directeur de la communauté thérapeutique du Sato de Flambermont (près de Beauvais). « Cela ne fait que confirmer ce que nous observions depuis des années. »
Comme en ville, les usagers sont majoritairement des hommes (80 %), relativement précaires. Comme en ville, tous les produits circulent. Cocaïne, héroïne, crack, LSD mais aussi du speed, des médicaments (Subutex ou Méthadone), des opiacés… Plus de 80 % des toxicomanes interrogés ont répondu avoir pris du cannabis dans le mois écoulé. « Les usages de drogue ne cantonnent pas aux zones périurbaines, dit l’enquête. Nous observons des consommations à risques chez des personnes vivant dans les villages et les hameaux parfois très isolés. » Comme en ville, les poly-consommateurs existent. Mais l’approvisionnement pouvant être défaillant, certains toxicomanes dépendants se fournissent « en fonction des arrivages », recourent à l’automédication, ou aux « associations hasardeuses de produits », pouvant être à hauts risques.
Un accès aux soins compliqué
Ces pratiques en milieu rural ont de quoi inquiéter. Les échanges de matériel sont importants : 40 % des usagers ayant recours au sniff déclarent avoir déjà partagé leurs pailles avec d’autres consommateurs. Et 20 % affirment le faire régulièrement.
Se sortir de la drogue semble plus compliqué en campagne qu’en zone urbaine. L’enquête pointe le manque de relais, les défauts de formation à l’accueil et aux soins. Du point de vue des toxicomanes vivant en campagne, les barrières sont nombreuses. Un usager sur trois aurait déjà renoncé à se soigner à cause de ça. La peur de la rumeur et un suivi trop contraignant sont les arguments qui reviennent le plus souvent. Vient ensuite la crainte de la réaction du docteur : « plus de la moitié des usagers ayant tenté de se soigner ont volontairement évité le médecin de famille ».
Philippe Ferreira-Pinto n’est pas surpris par cette étude. Si aujourd’hui, il aide les autres à s’en sortir, l’homme a traversé l’enfer de la drogue pendant deux décennies. Et il n’a pas plongé n’importe où : il vivait à Bailleval, un bourg de 1 500 habitants en plein cœur de l’Oise, à 8 km de Liancourt. « Une consommation passagère avant l’armée ; régulière après. »
C’était au milieu des années 80. Quand on l’écoute, on se dit que rien n’a changé.
« La drogue au cœur de la fête »
Tenez, prenez les raves parties. « L’organisation de fêtes alternatives s’est développée sur la scène rurale, dit l’enquête. Le contexte est favorable d’une part grâce à la présence de grands espaces, d’autre part en raison de la faible offre de divertissements accessibles à la jeunesse des villages. » Philippe rebondit. « Dans les années 80, le rock alternatif jouait le même rôle. Des groupes copiaient la Mano Negra ou les Négresses vertes. Ça fonctionnait comme une rave : une information circule grâce au bouche à oreille, beaucoup de monde et la drogue au cœur de la fête. On trouvait déjà de tout. Héro, coke, acide et du shit pour gérer la descente. »
Philippe doit son premier pas sans la drogue à un ami, pas à aux institutions. « Il m’a parlé d’une psychologue à Villers-Saint-Paul. C’est là que ça a commencé, autour d’une tasse de café. » À cette époque, il n’a pas eu accès aux informations pour s’en sortir. Est-ce que ça l’aurait aidé ? « Non, je ne pense pas. Quand on est vraiment accro, la solution ne peut venir que de l’intérieur. »
PIERRE SAULNIER